Gravures sur roches, Lacs des Merveilles (Rivière 1879)

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Rivière E., 1879. Gravures sur roches des lacs des Merveilles au val d’Enfer (Italie), in Association française pour  l’avancement des sciences, Paris, pp. 783-793, I tav.
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[editor’s note: this paper better details the French scientific discovery of Mt. Bego’s petroglyphic complex and it is due to the physician and archaeologist Émile Rivière, devoted to the study of the Palaeolithic]

by Émile RIVIÈRE


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 M. Émile RIVIÈRE

GRAVURES SUR ROCHES
DES LACS DES MERVEILLES AU VAL D’ENFER

(ITALIE).

————

– Séance du 23 aout 1878. –

———

    Dans l’avant-dernière séance du Congres des sciences anthropologiques, M. le Dr Chil y Naranjo, à la suite d’une communication des plus intéressantes sur l’origine des Guanches, montrait, relevés par lui, quelques-uns des signes gravés sur les roches volcaniques des Iles Canaries.

   Je demande aujourd’hui la permission de faire connaitre aux membres du Congrès d’autres gravures sur roches, que l’on rencontre, non plus en Afrique, mais bien en Europe, et pour ainsi dire sur les confins de la France et de 1’Italie, dans le voisinage du Col de Tende, gravures dont quelques-unes présentent une véritable parenté avec celles des Canaries et surtout avec celles qui ont été trouvées au sud du Maroc, dans la province du Soûs, par M. le rabbin Mardochée.

   Si cette découverte, que j’ai faite au mois de novembre de l’année dernière (1877) et dont j’ai déjà parlée à cette époque (1), se trouvait

(1) Rapport à M. le Ministre de l’Instruction publique sur les gravures sur roches des Lacs des Merveilles. — 26 novembre 1877.

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reconnue et acceptée par le Congrès, comme elle l’a été et sans la moindre hésitation par mon savant collègue, M. le Dr Chil, qui a bien voulu me promettre de m’envoyer, dès son retour à Palmas, de nouveaux documents sur cette question, elle serait de la plus haute importance pour l’anthropologie et l’archéologie préhistoriques. En effet, cette découverte confirmerait l’opinion émise dans les Crania ethnica (1) par mon illustre maitre M. le professeur de Quatrefages et par son savant collaborateur M. le Dr Hamy, de cette expansion des Guanches d’Afrique en Europe.

  On verrait ainsi cette race s’étendre du Soûs et des Canaries à travers la Méditerranée, pour se retrouver, a l’âge de la pierre taillée, dans le Perigord chez les hommes de Cro Magnon, pour se retrouver aussi en Italie sur les bords de la mer chez les peuplades de Menton et de Beaulieu, et remonter enfin, à une époque archéologique moins ancienne, au Col de Tende. Je dis moins ancienne, car ces curieuses gravures paraissent dater de l’âge du bronze, du moins autant qu’il est permis d’en juger d’après la représentation de quelques armes, telles que des pointes de lances, des haches emmanchées et surtout certain glaive assez court et triangulaire, dans lequel M. Henri Martin, le célèbre historien, reconnaissait hier même les armes qu’il venait de voir quelques jours auparavant dans les collections du Musée de Dublin, armes en bronze trouvées dans des dolmens de l’Irlande.

  Les signes gravés, que j’ai dessinés au tableau il y a quelques instants, ont été reproduits avec la plus scrupuleuse exactitude, comme les membres du Congrès peuvent s’en rendre compte, d’après les estampages que j’ai relevés l’an dernier sur les roches elles-mêmes avec le concours de M. L. de Vesly, adjoint, sur ma demande, pour le dessin et la topographie, à la mission dont j’avais l’honneur d’être chargé par le Ministère de l’Instruction publique.

  C’est en 1821 que les roches gravées du Val d’Enfer furent signalées pour la première fois au monde savant par Fodéré dans un ouvrage intitulé Voyage aux Alpes-Maritimes (2). Mais la description qu’en donne l’auteur est tellement fantaisiste pour quiconque a pu voir les roches elles-mêmes, qu’il est impossible en tenir compte, et que l’on doit seulement savoir gré a Fodéré de les avoir indiquées.

  Mais jusqu’en 1868 nul ne s’en était occupé, et c’est à cette époque seulement qu’un botaniste anglais, M. Moggridge, les ayant découvertes

(1) A. de Quatrfages et E. T. Hamy. – Crania ethnica, les cranes des races humaines décrits et figures d’après les collections du Muséum d’histoire naturelle de Paris, de la Société d’anthropologie de Paris et les principales collections de la France et de l’étranger. –3e livraison. – Paris 1873.

(2) F. E. Fodéré. – Voyage aux Alpes-Maritimes ou Histoire naturelle, agraire, civile et médicale du comté de Nice et pays limitrophes. — Paris, 1821.

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de nouveau, en dessina quelques-unes à la hâte et par suite plus ou moins fidèlement, dessins qu’il accompagna de quelques notes, pour les présenter au Congrès international d’anthropologie et d’archéologie de Norwich (1).

  Du reste lui-même reconnaissant combien son travail, précipité en raison des mauvais temps qui règnent presque constamment en ces lieux, était imparfait, m’avait maintes fois engagé à aller étudier sur place les roches gravées du Val d’Enfer. Mais c’est l’an dernier seule­ment que j’ai pu mettre à exécution ce projet de recherches, longues et difficiles par les lieux où il fallait séjourner, pendant un certain nom­bre de jours et de nuits, à une altitude de 2,300 mètres environ.

  Forcé de réserver au Ministère de l’Instruction publique et à sa publi­cation des Archives, à laquelle il revient de droit, le résultat de mes recherches an Val d’Enfer, comme chargé de mission, je passerai rapi­dement ici sur les faits les moins importants, me bornant à signaler seulement les points principaux. Je ne dirai donc que quelques mots sur la région que j’ai explorée, pour arriver rapidement à la descrip­tion des dessins les plus intéressants.

  C’est de San Dalmazzo (2), connu par son établissement thermal, et la première localité que l’on rencontre sur la route de Cuneo ou Coni, après avoir franchi, par le village de Fontan, la frontière qui separe la France de l’Italie, que l’on doit gagner le sentier, seule voie qui per­mette de se rendre au Val d’Enfer, Valle dell’Inferno.

  Ce sentier, plus ou moins bien entretenu jusqu’à l’établissement des mines de plomb argentifère de Vallauria di Tenda, situées à trois heures de marche environ de San Dalmazzo ou Saint-Dalmas de Tende, dis­parait bientôt, après avoir suivi pendant un certain temps les rives plus ou moins escarpées de la Miniera ; et c’est au milieu de vastes et for­midables éboulis de rochers, parfois difficiles à escalader, qu’il faut passer pour gagner les lacs Lunghi ou lacs Longs et la vallée de l’Enfer, distants d’au moins deux nouvelles heures des mines, en remontant le ravin de la Miniera, dans lequel coulent les eaux torrentueuses de la rivière de ce nom.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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  Ce Val d’Enfer est formé par une série de petits cirques plus ou moins vastes situés à des altitudes différentes ; le seul d’entre eux, qui présente réellement une certaine étendue, renferme les trois lacs Lunghi;

(1) F. G. S. Moggridge. – The Meraviglie. – Extrait des comptes-rendus du Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques. – Londres, 1868.

(2) San Dalmazzo ou Saint-Dalmas est un petit hameau composé de quelques maisons et dépen­dant de la commune de la Brigue près Tende, province de Coni.

786    ———-  ANTHROPOLOGIE

un second, à l’ouest du premier, contient le lac Charbon, ainsi nommé à cause de l’apparente couleur de ses eaux due aux reflets des roches qui l’environnent ; le troisième, enfin, comprend le lac d’Huile, également dénommé pour l’aspect de sa nappe liquide.

  Le Val d’Enfer est entouré de rochers abrupts et dominé au nord par la cime du Mont-Bego, haute de 2,873 mètres, au sud par le pic du Diable ou Testa dell’Inferno (2,627 mètres). Il tire son nom de l’âpreté du lieu, de la couleur sombre des rochers, de l’absence presque complète de végétation, et, comme l’ajoute M. Elysée Reclus (1), du silence effrayant qui règne dans cette solitude.

  La seule époque de l’année, pendant laquelle il est, non pas habi­table (2), ce qui serait beaucoup trop dire, mais seulement praticable, s’étend du 15 juillet au 20 ou 25 août ; et encore pendant ce court espace de temps, il ne s’écoule généralement pas une seule après-midi, m’a-t-on affirmé, et Moggridge en a été le temoin (3), sans de vio­lentes pluies d’orage accompagnées de grêle, etc.

  Dès la fin d’août surviennent les premières tourmentes, et la neige apparait pour s’y maintenir jusqu’au commencement de l’été.

  La température du matin au soir subit des variations considérables. En effet si le jour, et dès que le soleil pénétrait dans l’étroit couloir ou j’avais établi notre campement, la chaleur s’élevait rapidement a plus de trente degrés, par contre des qu’il avait disparu derrière les hautes cimes qui nous environnaient, la température s’abaissait rapidement jusqu’a 4 ou 5 degrés, nous forçant à entretenir un grand feu auprès de notre tente.

  C’est au milieu d’un éboulis et sur les pentes, qui, du dernier des lacs Lunghi, c’est-à-dire le plus septentrional, conduisent au petit cirque que nous avions choisi pour nous y installer, que sont situées les premières roches gravées.

  Mais à partir de la et en suivant, soit le même couloir, soit un défilé à peu près parallèle ou tout au moins peu divergent de celui-ci, et avec lequel il se confond à un moment donné, nous avons trouvé éparses çà et là sur une longueur de deux kilomètres environ, et en nous élevant jusqu’à une altitude de près de 2,600 mètres, tout auprès des premières neiges éternelles, une cinquantaine de roches présentant toutes des signes gravés, en plus ou moins grand nombre.

  Peut-être en existe-t-il encore plus loin, mais le défaut de temps et

(1) Elysée Reclus: – Les Villes d’hiver de la Méditerranée et les Alpes-Maritimes. Paris, 1864.

(2) Dans les douze jours que nous y avons séjourné, nous n’avons vu, en dehors du directeur des mines de Vallauria et du médecin de l’établissement thermal de Saint-Dalmas,’que trois ber­gers en tout et leurs troupeaux de chèvres, qui le soir se hâtent de regagner leurs cabanes, décorées du nom de chalets, aux environs de la Miniera.

(3) Moggridge. – Loc. cit.

É. RIVIÈRE. – GRAVURES SUR ROCHES  ———-    787

l’approche d’une tourmente, devant laquelle fuyaient les rares trou­peaux de chèvres que l’on rencontre dans ces parages éminemment inhospitaliers ne nous a pas permis d’aller au-delà de ce point (1).

  Mais la plupart de ces roches se trouvent autour des lacs des Mer­veilles, c’est-à-dire à une altitude qui varie de 1,892 mètres — hauteur prise au baromètre a 2,300 mètres.

  La roche qui présente le plus grand nombre de signes gravés se trouve dans le défilé, encombré de blocs éboulés, qui s’étend des bords à pic du grand lac des Merveilles au second lac, et les dessins qui la recouvrent se rencontrent à la fois sur une de ses faces verticales haute de près de 1 m. 50 c., et sur la face horizontale.

  Les roches gravées sont en place ou sont des blocs éboulés, mais sculptés après leur éboulement des parois de la montagne.

  Toutes, sans exception, ont subi l’action glaciaire, et présentent une surface tellement polie et glissante que lorsqu’il nous fallait les gravir pour les estamper, nous ne pouvions le faire qu’avec la plus grande précaution.

  Les roches sculptées ont toutes, sans exception aussi, le même aspect, la même coloration, enfin la même contexture minéralogique, à tel point que dès le second jour de nos recherches, je pouvais facilement dire de loin, en toute certitude et a première vue, telle roche est gravée, telle autre ne l’est pas. Leur surface extérieure est d’un jaune verdâtre sur lequel se détache, en plus fond, la gravure en creux de l’objet ou du signe que l’on a voulu représenter.

  D’après M. Stanislas Meunier, aide-naturaliste au Museum d’Histoire naturelle de Paris, qui l’a étudiée, sur l’échantillon que j’ai rapporté du Val d’Enfer, cette roche serait une serpentine schistoïde.

  Les signes gravés sur les rochers des Merveilles sont ou frustes – ce qui est assez rare – ou parfaitement conservés; quelquefois l’un et l’autre sur la même roche, bien que tous ceux que nous avons estampés me paraissent remonter à la même époque.

Les dessins, que nous avons relevés par le procédé de M. Lottin, de Laval, sont au nombre de 408, que je crois pouvoir grouper en trois classes distinctes, d’après les objets représentés.

Ce sont :

1° Animaux;

2° Armes, instruments et objets divers ;

3° Signes indéterminables, mais se rapportant tous à un type à peu près toujours le même.

(1) L’un des hommes qui nous ont servi de guides et d’aides, pendant tout notre séjour au Val d’Enfer; nous a affirmé qu’il connaissait d’autres roches gravées a quelque distance de celles que nous avons estampées.

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Émile Rivière, Gravures sur roches des lacs des Merveilles en Italie T. VII. PL. XIX.
[editor’s note: reproductions are very accurate, tracing with extreme precision the contour of the pecked figures;
panthograph was utilised to achieve this result]

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  1er Groupe. – Animaux. – Les animaux, que la gravure sur roche a cherché à reproduire, sont représentés presque exclusivement par des têtes de ruminants, bœuf, chèvre et cerf, autant du moins que la forme de la tête, des bois ou des cornes semble le démontrer (voir la planche XIX, fig. 1 a 9) (1), je dis des têtes et non point des corps, car sur aucune roche sans exception, je n’ai trouvé autre chose qu’une tête. Ces têtes elles-mêmes sont simples ou ornées; simples lorsqu’elles présentent la tête seule, soit avec ses appendices, bois ou cornes et sans oreilles (fig. 1, 4, 8 et 9), ce qui est le cas ordinaire, soit avec celles-ci (fig. 3) ; ornées, lorsque le frontal est surmonté d’un prolongement difficilement déterminable, ou d’une sorte de houppe (fig. 5, 6 et 7) ou bien encore d’un objet, tel par exemple qu’une croix à bras égaux et recourbés (fig. 2). Parfois plusieurs têtes se trouvent réunies soit par l’extrémité des cornes, soit par l’un des côtés mêmes de la tête (fig. 8).

  La forme de celle-ci varie aussi considérablement depuis la tête véritable et assez facilement reconnaissable (fig. 1, 6 et 7) jusqu’à simuler une fourche (fig. 10), ou même une sorte d’éperon (fig. 11 et 12) et ce c’est que par induction, et en suivant les différentes transforma­tions que le dessin a subies, que j’arrive à reconnaître encore les dernières apparences d’une tête ; celle-ci est donc, ou étroite et très ­allongé, les bras de la fourche étant plus ou moins rapprochés, quelquefois même très-écartés, ou aussi large que longue et presque carrée. Mais en aucun cas on ne peut distinguer les parties constitutives de la face, l’artiste s’étant borné à en représenter simplement et grossièrement la masse.

  Les cornes ou les bois qui surmontent la tête, la plupart du temps très-difficiles à distinguer entre eux par l’absence de toutes ramures ou subdivisions, varient fort peu ; ils sont droits, recourbés ou sinueux, c’est-à-dire en zigzag, et plus ou moins longs. Quelques-uns de ces bois se rejoignent par leur extrémité libre et ferment un cercle complet, un véritable anneau (fig. 13).

  Enfin ces têtes, si toutefois on les accepte pour telles, se trouvent parfois associées à d’autres dessins, tels que des instruments, comme s’ils étaient destinés à en orner l’extrémité du manche (fig. 14, 15 et 16). Ils paraissent quelquefois avoir été sculptés après coup, quoiqu’à la même époque.

Ces têtes d’animaux sont, de tous les signes que j’ai rencontrés, les plus nombreux.

(1) Les dessins figurés sur la planche qui accompagne ce mémoire ont tous été reproduits au pantographe, dont la pointe a suivi avec la plus scrupuleuse exactitude tous les contours des estampages, de façon à leur conserver avec la plus parfaite authenticité la forme absolument vraie. Ils sont tous au sixième de leur grandeur naturelle, sauf le n° 40, qui est au huitième.

É. RIVIÈRE. – GRAVURES SUR ROCHES  ———-    789

2e GROUPE. – Armes, instruments et objets divers. – Les armes et les instruments sont pour la plupart plus faciles à reconnaitre que les dessins du groupe précèdent.

  Les armes représentent soit des pointes de flèches, assez généralement petites (fig. 23, 24 et 30), soit des pointes de lances triangulaires plus ou moins grandes, depuis 12 jusqu’à 33 centimètres (fig. 28 et 29), soit de véritables glaives ou des poignards d’assez grande dimension (fig. 25, 26 et 27). Sauf les pointes de flèches qui pourraient simuler des armes de pierre, les autres dessins nous paraissent vouloir figurer des armes de l’âge du bronze, notamment les glaives triangulaires à poignée petite et étroite. Les faibles dimensions de cette poignée sem­blent indiquer aussi que les hommes, appelés à se servir de ces armes, devaient avoir les mains petites, et rappellent par là les populations de l’Inde.

  Ne pouvant pas entrer ici dans plus de détails, je me bornerai, avant de passer au troisième groupe, a citer encore les armes et les instru­ments emmanches, haches, etc.. qui sont représentés (fig. 19, 20, 21 et 22) sur la planche XIX de cette notice. Je ne dois pas oublier cepen­dant d’indiquer encore : 1° certaine pointe triangulaire terminée à la base par une sorte de sphère dont le diamètre n’est pas moindre de 14 centimètres (fig. 17) ; 2° un panier à anse parfaitement gravé (fig. 18) ; 3° deux sortes de faulx, serpes ou faucilles, figurées sous les nos 31 et 33 ; 4° enfin, la fig. 33 qui représente une massue.

  3e GROUPE. — Dessins difficilement déterminables, mais se rapportant tous a un type à peu près le même. – J’ai cru devoir réunir dans ce groupe toute une série de dessins auxquels je serais très-embarrasse de donner un nom – du moins pour le plus grand nombre, – soit qu’on les considère comme des filets, des galettes ou des gâteaux (fig. 37, 38 et 41), quelques-uns même comme des anneaux, des roues ou des rouelles (fig. 34, 35, 36 et 42), l’une de celles-ci est pourvue d’une sorte de manche ou timon, comme si elle indiquait un véhicule quelconque (fig. 39), d’autres enfin comme des clôtures ou barrières (fig. 40).

  Quoi qu’il en soit des objets que l’on croira reconnaitre dans ces dessins, ceux-ci se rapportent tous, je le répète, à un type a peu près le mémé, affectant la forme d’un cercle, d’un ovale, d’un carré ou d’un rectan­gle plus ou moins allonge. En tous cas ce sont des figures irrégulières, renfermant une série de lignes parallèles ou divergentes, jamais concentriques, ou s’entrecroisant sous différents angles, formant parfois comme les mailles extrêmement serrées d’un filet, circonscrivant enfin des espaces variables, dans lesquels on trouve quelquefois aussi des têtes d’a­nimaux analogues à celles que j’ai indiquées dans le premier groupe (fig. 45 et 48).

790    ———-  ANTHROPOLOGIE

En dehors de ces trois groupes, je dois signaler encore quelques dessins très-intéressants.

  Le premier, assez fruste, représente un être humain grossièrement gravé, mais cependant facile à reconnaitre, ce signe, absolument uni­que, – c’est le seul que j’aie trouvé, – a été figuré d’une façon assez erronée sur l’une des planches de la brochure de Moggridge ; il repro­duit un homme dont les bras et les jambes sont écartés et dont la tête est inclinée sur l’épaule gauche (fig. 47).

  Le second dessin est extrêmement curieux, bien qu’il me paraisse difficile à déterminer; il mesure 68 centimètres de haut sur 35 dans sa plus grande largeur (fig. 48). Enfin, je citerai les figures 49 et 50.

  Enfin les dernières gravures représentent des croix a bras doubles (fig. 43, 44, 45 et 46) dont la branche verticale après s’être bifurquée inférieurement se recourbe à droite et à gauche à angle droit ou obtus pour se terminer, soit par une demi-anse, soit par une anse complète. Cette gravure répétée plusieurs fois sur les roches des lacs des Mer­veilles offre quelque analogie avec la croix ansée des Phéniciens.

  Tels sont, succinctement décrits, les principaux signes que j’ai trouvés sur les rochers du Val d’Enfer, signes hiéroglyphiques ou symboliques, qui se répètent plus ou moins fréquemment sur la même pierre ou sur des pierres différentes, et dans des combinaisons quelquefois les mêmes, le plus souvent variées, signes enfin dont la clef est encore actuelle­ment inconnue.

  J’ai comparé les gravures des lacs des Merveilles a celles que l’on remarque sur les dolmens de la Bretagne; mais je ne leur ai trouvé aucune ressemblance même éloignée ; je me suis reporté aux sculptures découvertes sur les rochers de la Suède, mais la non plus aucune similitude; j’ai parcouru un grand nombre d’ouvrages avec planches publiés sur l’Amérique, tels que les Smithsonian Contributions, le livre de M. Schoolcraft, le mémoire de Warden, etc., etc., l’ouvrage aussi de M. le général Faidherbe sur l’Algérie, mais dans aucun d’eux je n’avais découvert la moindre parenté avec les signes gravés du val d’Enfer, lorsqu’une planche détachée de l’un de volumes du Bulletin de la Société de géographie de Paris, donnant quelques dessins de roches gravés me fut communiquée par un antiquaire Bien connu, M. Boban.

  C’est là que j’ai trouvé, au mois de novembre 1877, les analogies que je cherchais; je veux parler du mémoire de M. Duveyrier sur les Sculptures antiques de la province marocaine du Soûs découvertes par M. le rabbin Mardochée.

  Avec une bonne grâce, dont je lui suis extrêmement reconnaissant, la Société de géographie voulut bien mettre à ma disposition, pour les étudier, tous les estampages que lui avait envoyés l’auteur de la decou‑

É. RIVIÈRE. – GRAVURES SUR ROCHES    ———-  791

verte, et c’est là, je le répète, que je trouvai un certain nombre de signes tellement semblables a. ceux que j’ai l’honneur de présenter au Congrès, qu’il y a pour moi identité complète entre les uns et les autres, tant comme dessins que comme facture.

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Maroc, Soûs engravings reproduced in Duveyrier M., 1876. Sur les Sculptures antiques de la province marocaine du Soûs découvertes par M. le rabbin Mardochée, Bulletin de la société de Geographie,
sixième série, tome douzième, Paris, pp. 129-146, I tav.

  En effet, si l’on étudie avec soin les estampages du Soûs, on remarque immédiatement deux genres de gravures, deux procèdes parfaitement distincts l’un de l’autre ; l’un, au trait, qui représente des animaux entiers, tels que le Rhinocéros, l’Eléphant, l’Autruche, etc. et qui constitue à proprement parler une véritable gravure, dont je n’ai pas à m’occuper ici, tant ce procédé diffère de celui qui a été employé au Val d’Enfer ; l’autre qui indique un travail au pointillé, sorte de sculpture complètement identique, je le répète, à celle des Merveilles, travail fait avec une pointe mousse, ainsi qu’on peut le vérifier à la fois sur la copie des estampages de M. le rabbin Mardochée et sur mes propres estampages, que j’ai l’honneur de soumettre à l’appréciation de mes savants collègues.

  Quelques-uns des dessins du Soûs, faits au pointillé, représentent en effet les gravures que j’ai classées dans le troisième groupe, ainsi qu’une sorte de tête analogue à l’une de celles du premier groupe (fig. 4). La seule différence, que j’y rencontre, réside dans l’absence de reproduction des armes et des instruments que j’ai signalés dans les estampages des lacs des Merveilles.

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Maroc, Soûs engravings reproduced in Duveyrier M., 1876. editor’s note: these are the figures utilised by Rivière
for comparisons with the third group of Mt. Bego engravings, geometric grids]

  De plus, comme je l’ai dit au commencement de cette notice, je retrouve encore une nouvelle parenté dans d’autres dessins publies également dans les Bulletins de la Société de géographie, dessins qui accompagnent une lettre de M. Sabin Berthelot et un mémoire de don Aquilino Padron.

  La ressemblance est surtout frappante dans les dessins qui portent sur cette planche les numéros 2, 3, 4 et 5, dessins sculptés aussi en creux par le même procédé au pointillé.

  Si je n’étais aussi pressé par le grand nombre de communications ins­crites à l’ordre du jour, je citerais encore les dessins signales au Maroc par M. Tissot sur les piliers d’un Menhir, qui paraissent présenter quelque ressemblance avec mes gravures du premier groupe (1).

  Enfin, si le temps me le permettait, je dirais aussi, après avoir décrit plus longuement les objets représentés, que c’est par une suite de coups répétés sur la roche et donnés au moyen d’une pointe dure, que les auteurs de ces diverses sculptures sont arrivés à les produire. Ce travail, long seulement, n’a rien de bien difficile ; j’ai pu m’en

(1) Ce Menhir à été dêcouvert a Dizara sur le plateau que traversait autrefois la voie romaine de Tingis à Tocolosida entre Ad-Mercuri et Ad-Novas, c’est-à-dire a huit heures de marche au sud de Tanger.

792    ———-  ANTHROPOLOGIE

rendre compte sur les lieux-menses, en reproduisant, sur des roches de même nature que celles qui ont été sculptées, quelques-uns de ces dessins.

  Une pointe en pierre dure, celle qu’une serpentine ou une jadéite, par exemple, peut aussi bien qu’une pointe en métal entamer, suit les roches volcaniques analogues à celles des Canaries ou du Soùs, soit les schistes même, serpentineux du Val d’Enfer.

  On sait, du reste, que certains monolithes furent autrefois sculptés avec des outils en pierre ; je puis citer notamment, comme exemple, la hache en pierre dure, sorte de jadéite – un spécimen fut trouvé il y a près de dix ans dans la vallée de Mexico par M. Eugene Bohan – dont les ouvriers se servirent pour sculpter l’encorne pierre de sacrifice (ara), que Mathouzarna II fit élever tant pour perpétuer sa mémoire que pour augmenter le culte des idoles (1).

  Don Aquilino Padron dit aussi, en parlant des procédés qui furent employés pour la gravure des roches découvertes aux Canaries, qu’il est probable que ces caractères ont été formés à l’aide d’une pierre dure.

  Quoiqu’il en soit, il est certain que les unes et les autres de ces gravures – gravures des Canaries, gravures du Maroc, gravures enfin du Val d’Enfer, en Italie, dites gravures des lacs des Merveilles – ont été faites au pointillé, c’est-à-dire par une série de coups répètes et frappés les uns à côté des autres jusqu’à ce que la forme de l’objet, que l’on voulait représenter, fut complètement obtenue, que celui-ci fut un signe symbolique, un signe hiéroglyphique ou autre.

  Je m’arrêté forcément ici, Ile pouvant entrer dans cette notice dans plus de détails, mais en insistant vivement sur les analogies frappantes, sur la parenté évidente qui me paraissent exister entre les sculptures des roches des lacs des Merveilles en Italie, et celles des roches volcaniques, des Iles Canaries et celles aussi de la province marocaine du Soùs, à tel point qu’elles m’ont semblé pouvoir aujourd’hui être attribuées à des peuplades de même origine, semblables à celles dont les restes ont été retrouves aux Canaries par M. le Dr Chil y Naranjo et par M. le Dr Verneau (2), en France dans les grottes du Périgord, en Italie enfin dans les cavernes des Baoussé-Roussé ou des Roches-Rouges, impropre­ment appelées grottes de Menton.

  C’est sur cette analogie reconnue, comme je l’ai dit en commençant, par M. le Dr Chil, et par M. Henri Martin, que je demande à la section d’anthropologie la permission d’appeler tout spécialement l’attention de ses membres.

(1) Descripcion historica y cronologica de las dos piedras, par Don Antonio de Leon y Gama 2e édition, Mexico 1832.

(2) Les découvertes faites l’ile de Fer par mon savant collègue de la Société d’anthropologie

É. RIVIÈRE. – GRAVURES SUR ROCHES    ———-  793

DISCUSSION

M. G. Lagneau. – A propos du double rapprochement fait par M. Rivière d’une part entre les sculptures des rochers des Hautes-Alpes et celles des ro­chers des Canaries, et, d’autre part, entre les troglodytes de Cro Magnon, voire même de Baussé Roussé et les Guanches des Canaries, je ferai remarquer que dans des pays intermédiaires aux Canaries habitées par les Guanches dolichocéphales, et aux rives de la Vézère habitées par les troglodytes de Cro Magnon dolichocéphales, aux fémurs à colonne, aux tibias platycnémiques, ont habité d’autres humains présentant des caractères anthropologiques plus ou moins ana­logues; tell sont les kabyles dolichocéphales du nord de l’Afrique occidentale observés par M. le Gal Faidherbe, les troglodytes dolichocéphales de Gibraltar, chez lesquels M. Busk a pour la première Fois remarqué la platycnémie, certains Basques dolichocéphales du Guipuscoa étudiés par MM. Broca et Velasco, les troglodytes de Sorde étudiés par M. Chaplain Duparc, Lartet et Hamy, etc. (1).

Des données archéologiques signalées par M. Rivière, des données anthro­pologiques actuellement rappelées, on peut également rapprocher les documents légendaires, sinon historiques, tirés de Platon, de Theopompe tendant à montrer qu’en effet, de nombreux conquérants, 9,000 ans avant Solon, enakis xilia eth soit environ 9,600 ans avant notre ère, sortis des iles Atlantiques, en partie submergées depuis, auraient envahi notre Europe occidentale; légende historique que Posidonius et Strabon paraissent admettre, et qu’Ammien Marcellin semble confirmer en rapportant d’après les Druides gaulois, qu’une partie des habitants de notre pays provenait d’iles éloignées, ab insulis extremis (2).

M. Leguay expose que le procédé graphique suivant lequel les dessins du lac des Merveilles ont été exécutés lui parait absolument le même, au point de vue pratique, que celui employé par les auteurs des dessins des Iles Canaries, dont M. Chil lui a montré les estampages.

rentré en France peu de temps après cette communication, confirment entièrement ces analogies, par les renseignements et les dessins qu’il a bien voulu me communiquer.

(1) Faidherbe: Rech. anthrop. sur’les tombeaux mégalithiques de Roknia: Bull. de l’Acad. d’Hippone, 1868 et Congr. int. d’anthrop. et d’archéol. de Bruxelles 1872, p. 406. – Busk : the Rea­der. — Broga : Sur les cranes Basques: Bull. de la Soc. d’Anthrop., t. IV, p. 38-62, 1863. – Chaplain-Duparc et Hamy: Bull. de la Soc. d’Anthrop. 2e ser., t. IV, p. 516, 525, etc. 1874. – D. Quatrefages et Hamy: La race de Cro Magnon dans l’espace et dans les temps: Bull. de la Soc. d’Anthrop. 2e sér. t. IX, p. 260 et Croniathen, p. 96.

(2) Platon. Critias, p. 251 du t. II; Timée, p. 202, coll. Didot. – Theopompe, fragm. 76, p. 289 du t. 1er des Hist. Graecor. fragm. coll. Didot. –Strabon : liv. II, cap. III, § 6, p. 84 coll. Didot. – Ammien Marcellin : liv. XV, cap. IX.



Original reference:
Rivière E., 1879. Gravures sur roches des lacs des Merveilles au val d’Enfer (Italie), in Association française pour  l’avancement des sciences, Compte-rendu de la 7e session, Paris, pp. 783-793, I tav.


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